Tableau peint par helene62
Dernier jour à Bourges. Après avoir descendu les valises et la literie, les « expérimentés » se dépêchent d’avaler leurs petits déjeuners. Toujours aussi pressée d’être avec les chevaux, je finis la première et enfile mes bottes. Nous devons préparer nos chevaux avant de travailler au manège, pendant que les « débutants » ont droit à un peu plus de temps pour manger. Marie leur présentera la deuxième partie de son cours théorique commencé la veille.
Dans le manège, j’expérimente pour la première fois le travail à la longe. Suite à cet exercice qui nous a bien épuisés, nous allons chercher et préparer d’autres chevaux.
Je demande à Julien de monter de nouveau la jument grise de la veille, en lui expliquant qu’elle me mettait en confiance et que je ne me suis jamais sentie aussi à l’aise. De plus, Julien me reprochait souvent d’être trop dure avec moi-même et de ne pas reconnaître mes qualités à cheval. Comme hier avec mon amie, je prends le risque de lui dire que j’étais fière du travail accompli sur mon mental, il m’en félicite. Oui, c’est une prise de risque : je déteste me livrer car certains peuvent utiliser nos faiblesses comme une arme pour nous atteindre. Auprès de Julien, je me suis dit que mes ressentis étaient à l’abri…
Dans la carrière, je retrouve la même sensation de plaisir avec la jument. Encore une fois, je me détends et la laisse prendre de la vitesse au galop. Je me surprends même à prendre plaisir à sauter les barres. Il y a quelques semaines, je ne voulais plus entendre parler d’obstacles. Une bulle se forme autour de la jument et moi, je suis dans mon petit monde. Je profite pleinement de cet instant avant que Julien me ramène les pieds sur terre. Je prends ces remontrances comme une gifle : il me reproche de ne pas être attentive, d’ignorer ses exercices, d’abuser des obstacles, de monter « comme une gosse sur le cheval de chez Carrefour »… Et il en rajoute une couche : une fois les cavaliers réunis près de lui, il évoque ma mauvaise technique, contraire à l’équitation sensitive qu’il prône. Même si je souhaite qu’un trou apparaisse afin de disparaître dedans, j’avoue que ne pas reconnaître ces actes serait faire preuve de mauvaise foi. Julien finit de m’achever en m’accusant d’avoir administré un coup de talon à ma monture. Le pire arrive : il n’hésite pas à évoquer devant tous la conversation que nous avons eu plus tôt, sans même s’adresser à moi directement. Il raconte que je ne devrais pas me sentir aussi contente de moi. « Mec, ça fait plus d’un an que tu me dis le contraire », me lamente-je dans ma tête. Je pense que c’est une façon pour lui de me faire prendre conscience de ma bêtise. Si c’est le cas, il n’était pas obligé de se montrer aussi désagréable et de reprendre mes paroles pour me piquer. Le supolice se termine. Nous mettons pieds à terre. Je me dépêche de retrouver Julien près de la sortie, avant que les autres ne s’y approchent. Je me défends d’avoir frappé la jument. Il m’explique qu’il voulait exagérer les faits pour montrer qu’utiliser les jambes est contraire à son enseignement. « Sauf que c’est difficile de faire autrement quand c’est ce qu’on nous enseigne chaque semaine », réplique-je, en faisant référence à mon club.
Le moral dans les chaussettes, je douche et ramène la jument au box, en attendant son retour dans le près. Face à moi, elle s’amuse à reproduire mes déplacements en miroir. Je ne sais pas si je me trompe, mais je crois que nous avons développé une belle complicité au cours de ce week-end, et je ne suis pas la seule à l’avoir remarquée. Je n’aurai pas l’occasion de la remonter. Ainsi, je passe beaucoup de temps avec elle. Je n’oublierai jamais cette grise qui m’a aidée à retrouver ma confiance à cheval et à découvrir de nouvelles sensations.
L’heure du déjeuner approche. Je n’ai pas autant d’appétit que la veille. J’aide à mettre la table et part observer le cours des « débutants ». Je souris quand je vois les cavalières se suivre sur leurs petits chevaux et pousser des petits cris d’étonnement quand leurs montures partaient au trot. Je trouve ce tableau adorable. Le seul cavalier des « débutants » est le seul à galoper. Je le félicite. Il avait déjà acquis une petite expérience de l’équitation. Je me souviens de son premier galop, environ un an auparavant. Il était tellement à l’aise. J’étais ébahie et avais ressenti, aussi, une petite pointe de jalousie. Mon premier galop n’était pas aussi beau !
Je m’installe dans l’un des hamacs près de la table. Un cavalier me rejoint. Il était présent lors de la fameuse chute. Lui et moi avions déjà discuté de ce sujet durant le trajet. Il n’avait pas eu de nouvelles de moi depuis l’incident. Face à son inquiétude, je lui avais exposé les raisons. Je profite que nous sommes seuls pour répondre à ses interrogations.
Le reste du groupe nous rejoint. Après le déjeuner, je pars observer un poulain et sa mère. C’est la première fois que j’en vois un pour de vrai. Enfin, voir est un grand mot : le poulain est allongé et m’est peu visible. Je retourne dans le hamac et pique du nez. Pendant ce temps, chacun vaque à ses occupations : certains restent à table pour discuter, d’autres vont à la piscine. Julien joue de la guitare et sa femme est allongée dans l’herbe.
Cet après-midi, le groupe partira en balade dans les alentours. Les « débutants » sont les premiers à y aller. Nous reformons les binômes de la veille afin de les aider à préparer les chevaux. Je me sens encore moins à l’aise qu’hier : j’ai appris quelques instants plus tôt que ma binôme s’est montrée désagréable envers mon amie, qu’elle avait refusé de participer à un cours et qu’elle faisait preuve de mauvaise foi. Je ressens un sentiment d’injustice en pensant aux personnes qui auraient voulu être à sa place et participer à ce stage.
Une fois ma binôme en selle, je m’éloigne. Pour sécuriser les cinq « débutants », Julien reste à pied, seconder de Marie. Quarante-cinq minutes plus tard, arrive notre tour. Je monte la petite jument de la veille et ferme la marche. Julien est en tête, à cheval cette fois-ci et sans Marie. Nous partons au pas, puis alternons les trois allures. Contrairement à hier, j’apprécie pleinement la vivacité de ma monture et le galop dans ces grands étendus d’herbes. Je n’arrive pas à contrôler mon rire à chaque fois qu’on part au galop. Je rie tellement fort que je me déséquilibre sans cesse. Bon sang, qu’est-ce que je suis bien ! Galoper à toute vitesse devant des paysages aussi magnifiques est juste magique.
À mon grand regret, nous retournons à l’écurie. Là, Julien m’annonce qu’il ne peut pas m’accueillir en août pour mon stage. Il doit remplacer un moniteur dans un haras sur Bordeaux. Voyant ma mine déconfite, il me propose d’y monter si je prévois des vacances à proximité. Pensant qu’il plaisantait, je lui réponds non. Un cavalier ayant entendu notre conversation me dit que je devrais sérieusement réfléchir à cette proposition.
Les « débutants » sont prêts à quitter le séjour. Je ne peux pas en dire autant pour nous. Étant les derniers à revenir de la balade, il nous reste peu de temps pour se doucher et s’habiller avant l’arrivée des taxis. Nous ne pouvons emprunter que les douches extérieurs, et il y en a que deux. Mon amie et moi s’y précipitons dès la sortie d’un de nos camarades. Mon amie est la première à avoir fini. L’organisatrice l’aperçoit et me prie de sortir à mon tour en m’annonçant que j’ai moins de temps que prévu : un cavalier ne s’est pas encore douché. Zut, j’ai pas fini de m’habiller. Je sors avec mes baskets blanches à moitié enfilées. Les lacets mouillés traînent dans le sable. Beurk. Les taxis arrivent au moment où je range mes affaires dans la valise. Remarquant mon stress et ma précipitation, une chauffeure me propose gentiment son aide que je refuse, irritée. Finalement, je suis la première à monter dans l’une des voitures, étant tout de même l’avant-dernière à avoir fini de me préparer. Je patiente le temps que les autres arrivent. Ça valait bien la peine de me bousculer, tiens. Je sors de ma bouderie quand j’aperçois Julien sortir de l’auberge. Il partira plus tard avec son épouse. C’est avec un grand sourire aux lèvres et des grands gestes de la main que je salue et remercie Julien et Marie pour ce stage loisir et collectif.
Sur le trajet du retour, je me félicite. Oui, malgré les points négatifs abordés par Julien, j’estime que j’ai fait un grand pas durant ce séjour, un pas essentiel pour envisager sereinement la suite : j’ai réussi à me délivrer d’une peur qui me paralysait et m’empêchait d’avancer. À mes yeux, cette victoire a plus d’importance qu’une médaille, ça n’a pas de prix.
Amy C