10/09/19 (Hommage à Thaïs Meheust)

Aucune productivité. Aucune motivation. Depuis le week-end dernier, j’enchaîne les mauvaises nouvelles : entre mon ordinateur qui ne fonctionne plus alors que je dois rendre un devoir, les galères administratifs et le médecin qui ne m’autorise plus à pratiquer l’un de mes sports cette année, j’ai le moral dans les chaussettes. Je me sens triste, bien triste depuis que j’ai appris le décès de Thaïs Meheust dans les médias, ce week-end. Cela fait trois jours que j’y pense. C’est dingue, je n’ai jamais entendu parler d’elle avant ce dimanche, mais sa mort m’attriste et occupe mes pensées. C’était une jeune française de 22 ans, passionnée de concours complet et ayant remporté plusieurs médailles au niveau national et international. Elle est décédée après une chute sur un parcours de cross. Les hommages se multiplient sur les réseaux sociaux : souriante, ambitieuse, sympathique, talentueuse, pétillante sont des adjectifs qui la qualifient. Après Iona Sclater, le complet emporte une autre de ses adeptes en moins d’un mois. Thaïs, qui avait déjà accompli de beaux exploits dans sa courte vie, avait encore plein de projet en tête. Mes larmes coulent quand je regarde une vidéo « hommage » où elle exprime son désir de participer au Jeux Olympiques de 2024. Je pense à ses chevaux qui ne la verront plus, à son équipe, mais surtout à sa famille et proches en deuil qui ont eu la chance de côtoyer une si belle personne. J’aurais aimé la suivre sur les réseaux sociaux où elle partageait son quotidien et ses conseils, d’autant plus qu’elle était à peine plus âgée que moi et aimait la même discipline. Je pense que n’importe quel cavalier de concours aurait aimé avoir un parcours aussi louable que le sien. Après un moment de doute et de remise en question, l’histoire de Thaïs me donne, étonnamment, l’envie de progresser à cheval et ne pas laisser mes craintes et problèmes de santé me barrer la route. Championne, merci pour ton parcours, ton exemple, tes exploits. Repose en paix Thaïs.

Amy C.

06/09/19

Artiste : Yuuya Ponta

En ce début de vendredi après-midi, je quitte ma petite chambre étudiante pour retourner dans mon appartement, le temps d’un week-end. Pendant mes deux heures de trajet, j’essaie de prendre de l’avance sur mes révisons, mais mon esprit n’est pas prêt à coopérer. En effet, je pense à mon rendez-vous que j’ai eu ce matin avec une psychomotricienne pour trouver une solution à mon problème d’orientation dans l’espace. Ce problème ne date pas d’hier, et je pensais pouvoir le régler seule. Enfin, disons que je ne faisais pas vraiment d’effort pour améliorer mon sens de l’orientation et préférais me plaindre plutôt qu’agir. Heureusement, Julien m’a fait comprendre que mes difficultés lors des parcours d’obstacles n’étaient dus à ma technique, mais à mon mauvais sens d’orientation. C’est dingue, il a fallu que ce dernier est un impact négatif sur mon activité favorie pour que je décide de consulter un spécialiste. J’espère que le temps que je consacrerai aux séances de psychomotricité ne sera pas perdu, et qu’il m’aidera à m’améliorer non seulement à cheval, mais aussi dans la vie de tous les jours. Inutile de préciser tout le temps que je perds en essayant de retrouver mon chemin dans des lieux que je ne connais pas… Affaire à suivre.

Amy C.

05/09/19

Enfin un moment de libre. Je profite de cet instant de détente pour écrire ces quelques lignes, avant de replonger dans mon travail scolaire. J’entame ma quatrième et avant-dernière année d’étude. Le programme sera particulièrement chargé cette année. Mes études sont ma priorité, mais je me pose des questions concernant mon activité équestre : je suis prête à faire beaucoup de concessions, mais pas à laisser l’équitation de côté. Cette année 2019-2020 marquera mon début sur les terrains de concours avec Julien, et je compte bien m’y investir et fournir les efforts nécessaires. Mon objectif premier n’est pas de remporter une médaille, mais de rendre fier Julien et faire honneur à son enseignement. Ce serait une façon de le remercier pour tous les week-ends qu’il m’accorde et pour l’aide sportive et surtout psychologique qu’il a su me donner.

Cependant, si je veux concilier études, équitation, travail et mes autres activités, je dois sérieusement faire un travail sur mon organisation. En effet, jusqu’à cette fameuse année 2018, j’ai toujours su gérer mon temps, avant que je ne ressens le besoin de me diversifier et sortir la tête de mes bouquins d’anatomie. Il n’y a pas un seul jour où je ne pense pas à la discussion que j’ai eu avec deux coordinatrices de mon école lors d’un examen oral : ces dernières m’expliquaient que je peux faire tous ce que j’entreprends à condition d’être organisée. Cette pensée me réconforte qu’à moitié car malheureusement, je dois aussi prendre en compte mon état de santé qui m’oblige à ralentir.

Bref, je me pose beaucoup de questions en ce début d’année scolaire. Arriverai-je à accorder du temps pour tout ce que j’aime ? À progresser dans ma pratique équestre ? À préserver ma santé physique et mentale malgré mes ambitions ? Ce qui est sûr, c’est que ma vie ne sera pas un long fleuve tranquille.

Amy C.

07/07/19 (Flashback)

Tableau peint par helene62

Dernier jour à Bourges. Après avoir descendu les valises et la literie, les « expérimentés » se dépêchent d’avaler leurs petits déjeuners. Toujours aussi pressée d’être avec les chevaux, je finis la première et enfile mes bottes. Nous devons préparer nos chevaux avant de travailler au manège, pendant que les « débutants » ont droit à un peu plus de temps pour manger. Marie leur présentera la deuxième partie de son cours théorique commencé la veille.

Dans le manège, j’expérimente pour la première fois le travail à la longe. Suite à cet exercice qui nous a bien épuisés, nous allons chercher et préparer d’autres chevaux.

Je demande à Julien de monter de nouveau la jument grise de la veille, en lui expliquant qu’elle me mettait en confiance et que je ne me suis jamais sentie aussi à l’aise. De plus, Julien me reprochait souvent d’être trop dure avec moi-même et de ne pas reconnaître mes qualités à cheval. Comme hier avec mon amie, je prends le risque de lui dire que j’étais fière du travail accompli sur mon mental, il m’en félicite. Oui, c’est une prise de risque : je déteste me livrer car certains peuvent utiliser nos faiblesses comme une arme pour nous atteindre. Auprès de Julien, je me suis dit que mes ressentis étaient à l’abri…

Dans la carrière, je retrouve la même sensation de plaisir avec la jument. Encore une fois, je me détends et la laisse prendre de la vitesse au galop. Je me surprends même à prendre plaisir à sauter les barres. Il y a quelques semaines, je ne voulais plus entendre parler d’obstacles. Une bulle se forme autour de la jument et moi, je suis dans mon petit monde. Je profite pleinement de cet instant avant que Julien me ramène les pieds sur terre. Je prends ces remontrances comme une gifle : il me reproche de ne pas être attentive, d’ignorer ses exercices, d’abuser des obstacles, de monter « comme une gosse sur le cheval de chez Carrefour »… Et il en rajoute une couche : une fois les cavaliers réunis près de lui, il évoque ma mauvaise technique, contraire à l’équitation sensitive qu’il prône. Même si je souhaite qu’un trou apparaisse afin de disparaître dedans, j’avoue que ne pas reconnaître ces actes serait faire preuve de mauvaise foi. Julien finit de m’achever en m’accusant d’avoir administré un coup de talon à ma monture. Le pire arrive : il n’hésite pas à évoquer devant tous la conversation que nous avons eu plus tôt, sans même s’adresser à moi directement. Il raconte que je ne devrais pas me sentir aussi contente de moi. « Mec, ça fait plus d’un an que tu me dis le contraire », me lamente-je dans ma tête. Je pense que c’est une façon pour lui de me faire prendre conscience de ma bêtise. Si c’est le cas, il n’était pas obligé de se montrer aussi désagréable et de reprendre mes paroles pour me piquer. Le supolice se termine. Nous mettons pieds à terre. Je me dépêche de retrouver Julien près de la sortie, avant que les autres ne s’y approchent. Je me défends d’avoir frappé la jument. Il m’explique qu’il voulait exagérer les faits pour montrer qu’utiliser les jambes est contraire à son enseignement. « Sauf que c’est difficile de faire autrement quand c’est ce qu’on nous enseigne chaque semaine », réplique-je, en faisant référence à mon club.

Le moral dans les chaussettes, je douche et ramène la jument au box, en attendant son retour dans le près. Face à moi, elle s’amuse à reproduire mes déplacements en miroir. Je ne sais pas si je me trompe, mais je crois que nous avons développé une belle complicité au cours de ce week-end, et je ne suis pas la seule à l’avoir remarquée. Je n’aurai pas l’occasion de la remonter. Ainsi, je passe beaucoup de temps avec elle. Je n’oublierai jamais cette grise qui m’a aidée à retrouver ma confiance à cheval et à découvrir de nouvelles sensations.

L’heure du déjeuner approche. Je n’ai pas autant d’appétit que la veille. J’aide à mettre la table et part observer le cours des « débutants ». Je souris quand je vois les cavalières se suivre sur leurs petits chevaux et pousser des petits cris d’étonnement quand leurs montures partaient au trot. Je trouve ce tableau adorable. Le seul cavalier des « débutants » est le seul à galoper. Je le félicite. Il avait déjà acquis une petite expérience de l’équitation. Je me souviens de son premier galop, environ un an auparavant. Il était tellement à l’aise. J’étais ébahie et avais ressenti, aussi, une petite pointe de jalousie. Mon premier galop n’était pas aussi beau !

Je m’installe dans l’un des hamacs près de la table. Un cavalier me rejoint. Il était présent lors de la fameuse chute. Lui et moi avions déjà discuté de ce sujet durant le trajet. Il n’avait pas eu de nouvelles de moi depuis l’incident. Face à son inquiétude, je lui avais exposé les raisons. Je profite que nous sommes seuls pour répondre à ses interrogations.

Le reste du groupe nous rejoint. Après le déjeuner, je pars observer un poulain et sa mère. C’est la première fois que j’en vois un pour de vrai. Enfin, voir est un grand mot : le poulain est allongé et m’est peu visible. Je retourne dans le hamac et pique du nez. Pendant ce temps, chacun vaque à ses occupations : certains restent à table pour discuter, d’autres vont à la piscine. Julien joue de la guitare et sa femme est allongée dans l’herbe.

Cet après-midi, le groupe partira en balade dans les alentours. Les « débutants » sont les premiers à y aller. Nous reformons les binômes de la veille afin de les aider à préparer les chevaux. Je me sens encore moins à l’aise qu’hier : j’ai appris quelques instants plus tôt que ma binôme s’est montrée désagréable envers mon amie, qu’elle avait refusé de participer à un cours et qu’elle faisait preuve de mauvaise foi. Je ressens un sentiment d’injustice en pensant aux personnes qui auraient voulu être à sa place et participer à ce stage.

Une fois ma binôme en selle, je m’éloigne. Pour sécuriser les cinq « débutants », Julien reste à pied, seconder de Marie. Quarante-cinq minutes plus tard, arrive notre tour. Je monte la petite jument de la veille et ferme la marche. Julien est en tête, à cheval cette fois-ci et sans Marie. Nous partons au pas, puis alternons les trois allures. Contrairement à hier, j’apprécie pleinement la vivacité de ma monture et le galop dans ces grands étendus d’herbes. Je n’arrive pas à contrôler mon rire à chaque fois qu’on part au galop. Je rie tellement fort que je me déséquilibre sans cesse. Bon sang, qu’est-ce que je suis bien ! Galoper à toute vitesse devant des paysages aussi magnifiques est juste magique.

À mon grand regret, nous retournons à l’écurie. Là, Julien m’annonce qu’il ne peut pas m’accueillir en août pour mon stage. Il doit remplacer un moniteur dans un haras sur Bordeaux. Voyant ma mine déconfite, il me propose d’y monter si je prévois des vacances à proximité. Pensant qu’il plaisantait, je lui réponds non. Un cavalier ayant entendu notre conversation me dit que je devrais sérieusement réfléchir à cette proposition.

Les « débutants » sont prêts à quitter le séjour. Je ne peux pas en dire autant pour nous. Étant les derniers à revenir de la balade, il nous reste peu de temps pour se doucher et s’habiller avant l’arrivée des taxis. Nous ne pouvons emprunter que les douches extérieurs, et il y en a que deux. Mon amie et moi s’y précipitons dès la sortie d’un de nos camarades. Mon amie est la première à avoir fini. L’organisatrice l’aperçoit et me prie de sortir à mon tour en m’annonçant que j’ai moins de temps que prévu : un cavalier ne s’est pas encore douché. Zut, j’ai pas fini de m’habiller. Je sors avec mes baskets blanches à moitié enfilées. Les lacets mouillés traînent dans le sable. Beurk. Les taxis arrivent au moment où je range mes affaires dans la valise. Remarquant mon stress et ma précipitation, une chauffeure me propose gentiment son aide que je refuse, irritée. Finalement, je suis la première à monter dans l’une des voitures, étant tout de même l’avant-dernière à avoir fini de me préparer. Je patiente le temps que les autres arrivent. Ça valait bien la peine de me bousculer, tiens. Je sors de ma bouderie quand j’aperçois Julien sortir de l’auberge. Il partira plus tard avec son épouse. C’est avec un grand sourire aux lèvres et des grands gestes de la main que je salue et remercie Julien et Marie pour ce stage loisir et collectif.

Sur le trajet du retour, je me félicite. Oui, malgré les points négatifs abordés par Julien, j’estime que j’ai fait un grand pas durant ce séjour, un pas essentiel pour envisager sereinement la suite : j’ai réussi à me délivrer d’une peur qui me paralysait et m’empêchait d’avancer. À mes yeux, cette victoire a plus d’importance qu’une médaille, ça n’a pas de prix.

Amy C

06/07/19 (Flashback)

Je me réveille après une nuit assez courte. La chaleur dans la petite chambre que je partage avec deux autres femmes m’a empêché de fermer l’œil. Je suis la première à me lever et à descendre petit déjeuner.

Après avoir pris des forces, le groupe se réunit devant les boxes où les chevaux ont été placés spécialement pour nous éviter d’aller les chercher dans les différents paddocks. Julien forme cinq binômes composés d’un débutant et d’un expérimenté ou de l’organisatrice du séjour. Cela me fait toujours bizarre que Julien me considère comme une « expérimentée ». Quand la maîtresse demande à ses élèves de se mettre en groupe, l’écolier se tourne naturellement vers ses copains. Manque de bol, je me retrouve avec la personne avec qui je souhaitais le moins travailler. Je n’ai rien contre cette dame. Cependant, je me sens moins à l’aise avec. Notre hôte (une femme très aimable et excellente cuisinière) distribue les licols. J’en saisis un. Julien me rappelle à l’ordre gentiment en évoquant mon habituel impatience et me prie de l’écouter. Les débutants doivent préparer les chevaux sous la supervision des plus débrouillards. Je prends mon rôle très à cœur et ignore mes impressions vis-à-vis de mon binôme, qui ne sont même pas fondées. Nous terminons de préparer notre petite jument dont la taille m’attendrie : je n’ai pas l’habitude de monter de si petits chevaux.

Enfin la carrière. Les débutants sont les premiers à monter à cheval pour travailler au pas. Les anciens les accompagnent à pied. Encore une fois, me mettre dans la peau d’une monitrice me fait tout drôle, surtout que je ne suis pas pédagogue de nature. Cependant, je m’étonne de voir l’aisance que j’aborde lorsque je donne les consignes. C’est à mon tour de monter pendant que mon « élève » m’accompagne. Aïe, la jument a l’air vif. Je m’éloigne de mon binôme, indépendamment de ma volonté. Je l’appelle mais elle ne m’entend pas. Enfin, c’est ce que je crois. Quelques instants plus tard, elle revient vers moi accompagnée de Marie*, la femme à Julien. Celle-ci m’explique que je ne dois pas l’abandonner et que l’exercice à deux est important. Je réplique en justifiant que ce n’était pas mon attention et que je ne comptais pas me la jouer solo. Ma première impression sur cette débutante était-elle la bonne ? Julien nous demande ensuite de nous séparer de nos camarades afin de trotter et galoper. J’ai du mal à orienter la jument, elle préfère suivre les copains au trot ou au galop. Voyant que j’ai des difficultés à capter son attention, Marie se focalise sur moi. Sa précieuse aide me permet de réussir les exercices de Julien.

L’heure de la pause arrive. Évidemment, je ressens la faim que lorsque je descends de cheval. Nous allons manger à l’ombre des arbres. Pendant que je place les couverts, je remarque la piscine juste à côté. C’est la première fois que j’en vois une depuis qu’on m’a diagnostiqué l’épilepsie. J’observe mon amie et un autre cavalier en maillots de bain, près à aller barboter dans l’eau. Oh, ce n’est pas grave, les piscines ne me manquent pas tant que ça, après tout. Je me rabats sur une balançoire en me demandant si elle ne va pas céder sous mon poids d’adulte. J’en n’avais pas fait depuis mes douze ans. À cette époque là, j’en n’étais déjà plus trop fan. Je suis donc surprise de retrouver la sensation que j’avais quand j’étais gosse. C’est la douleur au niveau des hanches qui me rappelle que j’ai grandi et grossi depuis et me signale que je dois m’extirper de la balançoire. Je rejoins les quelques personnes qui sont déjà à table. Nous connaissant déjà auparavant, ces mecs me taquinent sur mon âge et ne sont pas étonnés que je suis allée faire de la balançoire.

Après avoir mangé avec appétit (je signale que c’est la première fois que j’arrive à bien manger après une séance avec Julien), les « expérimentés » se rendent à la carrière tandis que les autres resteront près des boxes pour un cours théorique dispensé par Marie. Je monte une jument grise. Contrairement à moi, elle a l’air sûr d’elle et sait ce qu’elle veut. Cependant, elle est aussi têtue que moi. Ce comportement me fait bien rire. Nous réussissons à trouver un terrain d’entente puis prenons plaisir à galoper ensemble, tellement de plaisir que j’oublie ma peur de la vitesse. C’est dingue, pour la première fois je me laisse aller et ne me crispe pas. Ravie d’avoir réussi à ne pas me laisser envahir par la peur, je me rends avec les trois autres cavaliers au manège pour des exercices avec des barres au sol. J’ai une légère appréhension : malgré la confiance que me procure ma monture, je n’oublie pas que j’étais angoissée par ce type de travail depuis ma chute après un obstacle, avec Julien. Je suis celle ayant le plus de difficultés à contrôler le rythme et rester sur la piste. Le point positif est que j’amuse la galerie en répétant à voix haute les conseils de Julien qui s’égosille la voix, exténué par mes bêtises.

Le cours se termine. Nous douchons nos chevaux. J’en profite pour confier à mon amie que c’est la première fois que je me sens fière de moi après une séance. « Enfin ! « , dit-elle. Nous nous douchons à notre tour puis rejoignons les autres à table où on se presse de manger avant l’arrivée de l’orage. Nous réussissons à rentrer quelques minutes avant la tombée de grêlons puis prenons notre dessert. La soirée se termine sur des jeux de carte. Je finis par abandonner mes compagnons de jeux après une partie pour retrouver mon lit. Je m’endors, ravie et fière de mon progrès.

Amy C.

*Prénom changé

05/07/19 (Flashback)

En ce vendredi après-midi, je me prépare à quitter Paris via la Gare d’Austerlitz. J’ai pris soin de faire ma valise la veille car j’avais pris la fâcheuse habitude de la faire peu de temps avant d’aller prendre les transports, ce qui parfois me mettait en retard. Avec ma fidèle bombe accrochée à ma petite valise, j’emprunte la sortie « Quai d’Austerlitz ». Je consulte le tableau des départs et essaie de reconnaître une silhouette familière. Personne. Je dois être la première, le rendez-vous est fixé à 17h15. Après plusieurs dizaines de minutes d’impatience, j’aperçois une amie avec qui je monte de temps en temps depuis mes débuts. Je retrouve progressivement l’organisatrice et les autres membres du groupe dont quelques connaissances.

C’est parti pour quatre heures de trajet jusqu’à un petit village près de Bourges. Je sympathise avec les débutants et échange mes dernières nouvelles avec les plus anciens. Rapidement, on m’identifie comme le « bébé »du groupe. Je suis la plus jeune, et certainement la plus excitée par ce voyage. Je me détends enfin : mes problèmes personnels et l’attente des résultats des partiels m’avaient mis à fleur de peau.

L’ odeur de crottins m’indique que nous sommes arrivés à l’auberge qui se situe dans l’écurie. En sortant de la voiture, j’aperçois les chevaux. Je sens que je vais passer un super week-end…

Amy C.

27/08/19

Aujourd’hui, je suis de retour dans ma chambre près de Paris. C’est la rentrée. Je retrouve l’une de mes amies qui me redonne tout de suite le sourire. Entre la réunion, la paperasse, la réinstallation et les courses, je n’ai pas une minute à moi. Tout au long de l’après-midi, je croise des connaissances et des camarades de classe avec qui je prends le temps de bavarder vacances et bon temps. Je m’étonne de me voir si décontractée et relâchée.

Entre deux exercices d’évacuation d’incendie, je papote avec un bon copain. La première chose qu’il me demande est si j’ai pu monter à cheval cet été. « Bien sûr que oui », réponds-je. C’est la même réponse que j’ai donné à une copine que j’ai revue cet été, un an après notre dernière rencontre. Depuis, je me pose des questions sur ma propre personne : « Suis-je une cavalière, juste une cavalière ? » Quand je rencontre une nouvelle personne, l’équitation est l’un des premiers thèmes que j’aborde en me présentant. Pour ceux qui me connaissent depuis longtemps, je me débrouille toujours pour parler cheval à un moment donné. Mes professeurs ne sont pas non plus épargnés, si bien qu’on m’associe à l’équitation dès qu’on parle de moi. Ce « comportement obsessionnel » me gêne. En effet, malgré moi, je me mets à la place de mon interlocuteur qui doit penser : « Mais elle en n’a pas marre avec ses chevaux ? ». J’essaie donc de me calmer et freiner mon envie de parler de moi. Oui, car en plus, j’adore parler de moi, c’est l’un de mes plus gros défauts et je travaille pour moins utiliser « Moi, je » ou « Moi, j’ai ».

Depuis un an et demi, j’ai l’impression que l’équitation fait partie de mon identité. À croire que j’ai commencé à vivre à 20 ans. Ce sport, en si peu de temps, a pris une grande place dans mon quotidien, mes pensées, ma vie.

Amy C.

23/08/19

Encore un rêve. Aujourd’hui, je me lève assez tard après une nouvelle nuit courte. J’ai fait un rêve que je pourrais qualifier d’angoissant (du moins, c’est ce que j’ai ressenti sur le moment)…

Nuit du 22/08/19 au 23/08/19

Je me tiens debout face à un paysage dévasté. La guerre vient de se terminer. Habillée en tenue de cross, je me prépare à concourir pour cette étape du complet. Chevaux et cavaliers sont nombreux au milieu de fumée et de constructions détruites. Il n’y a aucune installation, chaque couple et son équipe essaient de se faire une place dans le carré d’herbes qui nous sert de point de rendez-vous. Moi, je suis seule : pas de cheval, pas d’équipe. Enfin, c’est ce que je crois. Je me sens perdue et hésitante. J’écoute les instructions et essaie de trouver la monture qui m’a été attribuée pour cette épreuve. Je me dirige vers un grand Bai déjà préparé et le monte car mon départ est imminent. Avant de démarrer le galop, j’aperçois Julien entouré de quelques personnes. Je l’entends vanter mes qualités de cavalière auprès de ses compagnons. C’est la première fois qu’il se réjouit autant de me voir sur un terrain de concours. Je souris, mais rapidement je me rends compte que quelque chose ne va pas. Je ne me sens pas à l’aise sur ce cheval, il n’est pas fait pour moi et je ne suis pas faite pour lui. Notre couple ne fonctionnera pas. Julien, voyant que le cheval et moi sommes en désaccord, commence à me réprimander. Une femme accourt vers moi et m’explique que je n’ai pas pris le bon cheval. Je devais emprunter un Café au lait que je connaissais déjà et avec qui j’ai instauré une certaine complicité. Zut. C’est trop tard, je dois continuer avec le Bai tandis que le Café au lait est déjà avec une autre concurrente.

Bon, ça veut dire quoi, ça ? Je n’ai jamais fait de cross, du moins pas encore. Et pourquoi organiser un concours juste après la fin d’une guerre ? Est-ce une référence aux origines militaires de l’équitation ? Ce rêve m’a choquée, mais en le décryptant, il me paraît plus compréhensible : j’ai très envie de tester le cross et le complet. Julien était un compétiteur de complet. Mon hésitation ferait écho à mon ignorance de cette discipline. De plus, le concours dans ce rêve avait plus une allure de course hippique désordonnée, ce qui renforce l’idée de l’ignorance. Au début du rêve, je me sentais seule, avant que Julien et d’autres personnes ne soient arrivés. Est-ce parce que je me serais précipitée ou aurais-je decidé de concourir sans les attendre ? En réalité, j’ai la vilaine manie de vouloir mettre la charrue avant les bœufs : dans mon parcours équestre, j’ai commencé les compétitions relativement tôt dans mon club, alors qu’initialement, Julien et moi avons décidé de me lancer dans la compétition durant ma deuxième année de travail avec lui. Pourquoi me suis-je trompée de cheval ? Le Bai et le Café au lait n’étaient pas très éloignés l’un de l’autre. Étant malvoyante, je pensais qu’on me désignait le Bai. De plus, je n’ose pas poser deux fois la même question, ce qui expliquerait pourquoi je me suis dirigée vers le mauvais cheval malgré mon hésitation.

Depuis mon stage à Arcachon, c’est le quatrième rêve que je fais sur l’équitation et dont je me souviens. Je pense que cela traduit mon besoin de remonter à cheval. Ma dernière séance date d’environ trois semaines et je remonte qu’en octobre. Ces rêves ne sont pas horribles, mais je remarque qu’au fur et à mesure, le dernier me procure un sentiment d’angoisse plus important que le précédent…

Amy C.

22/08/19

Hier soir, je me suis endormie avec la promesse de me lever à sept heure, nuit blanche ou non. Cela faisait environ une semaine que j’ignorais mon réveil. Aujourd’hui, cette petite victoire me donne la pêche et me permet de bien commencer la journée. Depuis 17/08/19, j’essaie de réalimenter ma positivité dès que je sens une baisse de régime.

Après un petit déjeuner bien vitaminé, je pars faire des courses. Cela faisait deux jours que je n’étais pas sortie de chez moi, ce qui m’a paru être une éternité. Pour la première fois, je me réjouis à l’idée de faire les trente minutes de marche qui sépare mon appartement du Lidl le plus proche. Contrairement à d’habitude, plutôt que de me précipiter pour perdre le moins de temps possible, je décide de considérer cette sortie comme une balade. J’évite de regarder l’heure et profite du soleil. Je ne me suis jamais sentie aussi au calme et confiante sur un trajet et me surprend à sourire. Je crois que ce changement d’attitude s’est vu car plusieurs personnes me saluent sur mon chemin. Jamais autant d’inconnus ne s’étaient donnés la peine de me dire bonjour en si peu de temps. Certains regards (plus ou moins insistants…) se sont retournés sur moi. Je trouve cette scène assez surréaliste : je sais que la confiance en soi d’une personne peut transparaître, mais à ce point là ! J’ai l’impression d’avoir un aura autour de moi. En rentrant, je me place devant mon grand miroir et me mets à vérifier ma tenue, mon visage et mes cheveux afin d’y dénicher toute anomalie qui m’aurait échappée. Je n’ai rien d’anormal, je ressemble à celle que je vois chaque matin au réveil.

Partager mes réflexions n’est pas étrangé à ce bien-être mental. À l’instar de l’équitation qui me sort la tête de l’eau et qui me fait comprendre que ma vie vaut la peine d’être vécue, écrire mes récits quotidiennement me donne l’occasion de me poser quelques instants afin de me libérer l’esprit. Toutes mes interrogations prennent de la place et me font mal à la tête. Ainsi, le besoin d’écrire se faisait sentir, ma tête me suppliait de l’alléger. C’est depuis plusieurs mois que j’ai ressenti ce besoin, mais j’ignorais les demandes de mon esprit sous prétexte, encore une fois, que je n’avais pas le temps. Je pensais qu’écrire serait juste un loisir et que je pouvais m’en passer, avant que ceci se révèle être un véritable remède pour mes maux.

Amy C.

21/08/19

Aujourd’hui a lieu le championnat d’Europe de Para-Dressage en individuel, à Rotterdam. Étant abonnée à la chaîne YouTube de la Fédération Equestre Internationale, je saute sur la notification qui m’alerte de sa diffusion en direct. Je tombe sur la reprise d’une cavalière et essaie de déterminer la nature de son handicap. Les indications sonores m’indiquent qu’elle est peut-être mal ou non-voyante. Également déficiente visuelle, je ne peux m’empêcher de me questionner sur mon propre cas. Dans quelle catégorie devrais-je concourir ? Que ce soit dans le monde de l’équitation ou non, je n’ai jamais su me positionner car cet handicap ne m’empêche pas d’avoir une certaine autonomie : je vois suffisamment pour me déplacer sans aide le jour, mais pas assez pour me passer d’une canne blanche la nuit tombée. De plus, je reconnais plus les gens par leurs silhouettes, leur vêtements et leurs voix, plutôt que par les traits du visage.

Mon handicap ne se remarque pas aux premiers abords. Ainsi, beaucoup de personnes ne comprennent pas que je puisse parfois être en difficulté. C’était le cas pour quelques personnes de mon centre équestre, ce qui explique pourquoi je ne suis pas toujours à l’aise avec certains moniteurs. En même temps, je n’ai pas pris le temps de leur expliquer franchement mon problème de vue, je pensais que celui-ci passerait inaperçu. Cependant, la réalité est toute autre. Je faisais parfois face à des situations assez gênantes, où je ne pouvais pas cacher ce problème. Je peux citer les fois où on me surprenait en train de tâter le matériel de la sellerie, les fois où on me montrait du doigt un tracé que je n’arrivais pas à reproduire, ou encore les moments où je ne reconnaissais pas la cavalière qui m’avait prêté tel matériel… Je préférais donc me mettre en difficulté plutôt que de dévoiler mon handicap. Évidemment, mes tentatives de dissimulation n’étaient pas concluantes. Je qualifierais cet échec de positif et négatif à la fois. En effet, certains moniteurs se sont adaptés facilement afin de me permettre de faire le même travail que les autres, tandis que d’autres ont mis plus de temps à comprendre mes difficultés de vision. Je me demande même si ces derniers pensaient que je simulais mon handicap ou que je ne faisais aucun effort afin d’obtenir l’aide d’autrui. Cette idée me fend le cœur car je me sentais déjà extrêmement dépendante des moniteurs ou cavaliers qui me donnaient de l’aide. Je déteste être dépendante de qui que ce soit et même recevoir de l’aide. C’est idiot de penser ainsi car il n’y a rien de mal à obtenir un coup de pouce, au contraire, reconnaître ses propres limites est un comportement intelligent. Malheureusement, j’ai grandi avec l’idée que demander de l’aide signifierait que je ne suis pas capable de me débrouiller seule, et aujourd’hui j’ai du mal à me défaire de cette pensée négative.

Pourquoi ai-je voulu cacher ma déficience visuelle ? Mon parcours équestre est assez atypique : j’ai commencé l’équitation en mars 2018 avec Julien, dans ce même centre. Julien venait au club un ou deux jours par mois pour dispenser son enseignement autour de l’équitation sensitive et sans la vue. C’est dans ce contexte que je l’ai rencontré. Tombée amoureuse de ce sport, je décidai de m’inscrire aux cours débutants afin de monter à cheval chaque semaine. Ma progression m’a permis de valider mon Galop 2 durant l’été 2018, puis de monter avec les Galops 2 pendant deux mois avant qu’on m’ait proposé de rejoindre les Galops 3. Ainsi, en quelques mois je changeais plusieurs fois de niveaux et rencontrais de nouveaux cavaliers. À l’école, tous les regards se tournent vers le petit nouveau de la classe. J’étais le petit nouveau. Je ne souhaitais donc pas me faire remarquer davantage avec mon handicap et qu’on me stigmatise comme « l’handicapée », comme ce fut le cas durant ma scolarité.

Mon malaise face aux moniteurs s’est amplifié quand j’ai commencé à concourir : pour mon CSO, j’avais demandé, en amont, à plusieurs d’entre-eux si c’était possible d’avoir droit aux aides sonores, alors que moi-même je ne savais pas si les difficultés que j’ai eu lors d’un entraînement étaient dues à ma faible vision ou à mon manque d’expérience. On me proposa des solutions qui n’étaient pas adapter à ma situation : rappelons que je suis malvoyante, pas aveugle. Sous les conseils de Julien, je décidai de transmettre ses coordonnées aux organisateurs du concours afin de les aider à trouver une aide qui me conviendrait. Ce fut lors de mon passage le jour-J que je remarquai l’absence de l’aide en question. Heureusement, une monitrice fut présente dans un coin de la carrière pour veiller sur les concurrents de petits niveaux. Au moment de quitter la carrière, la monitrice me félicita et me fit comprendre que finalement, je n’avais pas besoin d’adaptation et que je m’en étais bien sortie pour un premier CSO,. Je me souviens avoir eu l’envie de lui répondre « C’est une blague ? ». Après la remise des prix, une autre monitrice m’interpella pour m’expliquer qu’elle avait reçu un mail de Julien et que ceci ne lui avait pas plu. Elle me reprocha de ne pas avoir parler de mon besoin d’adaptation et que je ne devais pas faire appel à un moniteur extérieur. Encore une fois, « C’est une blague ? » Je crois que je n’ai pas besoin de préciser que cette discussion à jeter un petit froid sur mes relations avec ce club…

Cette expérience me fait comprendre une situation inédite : soit je suis aveugle, soit je ne le suis pas. Voilà ce que je peux être aux yeux de la société qui a parfois du mal à comprendre qu’une personne malvoyante peut se balader avec une canne tout en consultant son téléphone. Désolée, Société, mais tu n’arriveras pas à me mettre dans une case.

Alors, handisport ou non ? Après le CSO et mon premier concours de dressage qui a eu lieu trois mois après, je ne trouve pas de réponse à cette question. Cependant, je suis sûre d’une chose : si je souhaite concourir avec les valides sans aides quelconques, je vais devoir redoubler d’effort, comme je l’ai fait en primaire, au collège et au lycée. Jusqu’à présent, réussir là où mes problèmes de santé ou mon handicap auraient pu me faire échouer, est ma plus grande fierté.

Amy C.